La Chance aux Enfants
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En tête à tête avec… Nathalie JAROSZ et Georges TOURNAY (Football)

Durant cet été, Dominique et Mélanie vont à la rencontre de personnalités et de structures partenaires contribuant à la réussite de nos projets en faveur des enfants.
Respectivement responsables des Pôles Espoirs féminin et masculin de la Ligue de Football des Hauts-de-France, Nathalie JAROSZ et Georges TOURNAY furent de précieux alliés dans la réussite de notre Journée Olympique du 10 juin dernier. Venus en voisin, les installations du Pôle Espoirs étant à proximité directe de nos bureaux à l'Arena Stade couvert de Liévin, ils se sont prêtés au jeu des questions de Dominique et Mélanie afin de nous en apprendre plus sur leur métier et leur passion, à savoir : aider les jeunes sportifs à faire éclore leur talent…

Dominique REGIA CORTE : D’habitude, chacun se présente… Aujourd’hui, c’est particulier : Jojo va présenter Nathalie et, ensuite, c’est Nathalie qui va te présenter. Donc, en quelques mots, présente-nous Nathalie.

Georges TOURNAY : Nathalie JAROSZ est une fille que je découvre, jour après jour. C’est ma neuvième année ici, et quand je suis arrivé, j’étais aux antipodes du football féminin. Franchement, je ne voyais pas les filles jouer au foot. J'ai découvert le football féminin par la force des choses puisqu'il y avait les deux pôles : le pôle masculin qui était là depuis longtemps, et le pôle féminin qui avait démarré en 2009.
Nathalie a commencé à travailler avec quelqu’un que je connaissais bien, Jacques HÉNOT. Et, à chaque fois, il me disait « Il y a une fille qui monte bien, Nathalie JAROSZ ». J’ai appris à la connaître. Je ne l’ai pas trop vu sur un terrain en tant que joueuse mais, d’après les échos que j’ai eus, je savais que c’était une numéro 6, une bonne technicienne mais manquant un peu de vitesse, d’explosivité. Aujourd’hui, ce que j’apprécie en elle, c’est justement qu’elle est très explosive au niveau intellectuel. Une très forte intelligence. Et si elle n’était pas là, je ne pourrais pas travailler car elle m’apporte ce que je ne sais pas faire. Notamment dans le domaine de l’informatique. Et ce qui va un peu dans ma façon de fonctionner, c’est que c’est une fille très courageuse et très discrète. J’adore ça.
Et elle obtient des résultats : il y a des filles qui sont passées dans ses mains et qui, maintenant, jouent au plus haut niveau dont un certain nombre dans les équipes de France. Moi, ça me parle. Ce n’est pas quelqu’un qui va se mettre en avant mais les résultats sont là. Ils parlent pour elle. Quand je lui ai proposé certaines choses, elle est toujours prête à les faire avancer, à les faire progresser. Il y a une année, j’ai proposé que les filles viennent un peu avec moi pour qu’elles apprennent et voient certaines choses différentes. Elle était d’accord, et ça s’est super bien passé. Les filles ont franchi des paliers.
Du fait de sa valeur, elle a été énormément sollicitée mais elle m’a appris, pas plus tard qu’il y a une quinzaine de jours, qu’elle restait encore un an avec moi, et j’en suis très content.

Dominique : Nathalie, est-ce que tu peux présenter Georges Tournay ?

Nathalie : Je vais faire un petit point sur sa carrière footballistique. Je l’ai vu sur quelques images, quelques vidéos. A l’opposé de moi, il était puissant, explosif. Il allait très vite. J’aurais aimé avoir cette vitesse là. Et c’était un buteur, tout ce que je n’étais pas. Je pense que c’est pour ça qu’on est complémentaires. C’est aussi un grand formateur. Il a formé, pendant des années, les jeunes joueurs du centre de formation de Lens. Puis il a également été entraineur avec les professionnels. Il a une très grande carrière. Donc là, on a la chance depuis neuf ans, de l'avoir récupéré au Pôle. On a un entraîneur de haut niveau présent avec nous, et qui nous apporte toute son expérience.
Ce que j’apprécie chez Georges, c’est que, dès que j’ai besoin de conseils, que ce soit sur les filles mais aussi sur mes choix personnels, c’est lui que je vais voir en premier. Sur le plan professionnel, on se complète bien avec tout ce que j’arrive à faire sur le plan informatique et autres, pendant que, lui, est plus dans le management de l’équipe, le côté humain. Et je trouve que c’est une personne formidable. J’ai une confiance totale en Georges. Je suis très heureuse de travailler avec lui. Et j'espère qu’il va rester ici encore longtemps.
On parle de valeurs, et ce milieu-là est quand même difficile avec un regard macho sur le foot féminin. Pour moi, c’est parfois compliqué, et Georges est là à chaque fois. C’est un peu mon pilier me permettant de remettre les choses dans le bon ordre. Humainement, c’est quelqu’un de formidable. Il apporte beaucoup aux jeunes, aux garçons qu’il a à l'entraînement, mais aussi aux filles car je les lui laisse quand il s’agit de travailler sur tous les points et spécificités des attaquants. Bon, il va falloir qu’il apprenne aux filles à frapper un peu mieux [rires]. Mais voilà, on est complémentaires, et c’est un plaisir de travailler avec Georges au quotidien.

Dominique : Vous avez un parcours professionnel très similaire : joueur et joueuse, coach tous les deux, directeurs et directrices du Pôle Espoirs de Liévin…

Nathalie : On s’y retrouve forcément car on a vécu les mêmes choses. On a vécu l’internat tous les deux. Georges y est parti à 11 ans, moi à 14 ans. On a vécu loin de nos familles, et ça, je pense que ça forge le caractère, que ça permet de prendre en maturité. Et après; il y a nos expériences du haut niveau. J’ai vécu les bons et les mauvais moments. Je pense que Georges aussi. Donc oui, je pense que ça forge des personnalités.

Dominique : C’est un rapprochement professionnel exceptionnel, avec une entente, un respect, un fonctionnement qui est bien en place et qui porte ses fruits…

Georges : Oui. J’ai rencontré une fois son papa. Il était dans l’éducation nationale, et j’ai senti un monsieur avec plein de valeurs… Et puis Nathalie a connu les vrais débuts du football féminin. Ce n’était pas facile. Elle a galéré. Elle a fait de nombreux clubs.
Moi, j’ai vécu le début des Centres de formation. Je suis arrivé au Centre à Lens, j’avais 16 ans. J’avais été en pension depuis mes 11 ans. Il faut deux à trois mois pour se mettre en route, et après, on se forge un mental. Ma place, aujourd’hui, je ne la dois à personne. Je la dois à mon travail, à ce que j’ai fait.
Et pour Nathalie, c’est pareil. Elle avait deux grands frères, et elle était la seule fille. Au début, quand elle a commencé le football féminin, on en rigolait un peu. On voit en quinze ans, l’évolution énorme qu’il y a eue. Et moi, je la vois en direct, aujourd’hui, puisqu’on fait toujours un petit match en début d’année entre les filles de Nathalie et mes « première années ». Au début on gagnait 7 ou 8-0, et, l’année passée, on a fait 1 partout… et on a eu chaud aux fesses. Donc ça prouve bien tout le travail qui est réalisé. Son parcours l’a forgée, et elle sait de quoi elle parle.

Mélanie BEAUCOURT : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous tourner, tout jeune, vers le foot ? C’est un match, une personne dans votre famille qui vous a initié ?

Nathalie : Moi, c’est mon papa, forcément. Mon frère jouait au foot dans un petit club, à côté de Valenciennes. Et mon père était entraîneur dans ce club. Ma mère m’emmenait à la danse le mercredi [rires]. Mais je n'aimais pas. Je préférais suivre mon père à son entraînement. Il me donnait un ballon, et je m’éclatais sur le côté du terrain. Au final, mes parents se sont mis d’accord et on m'a inscrite au club de foot. J’étais prise dans l’engrenage, et voilà…

Georges : Quant à moi, c’est une passion. Dans mon village, j'avais toujours un ballon. Pourtant mes parents étaient agriculteurs, et mon père ne connaissait rien au foot. Vous allez rigoler aussi à mon tour mais j’étais enfant de cœur, et le curé du village, c’était le secrétaire du club de foot à Bourlon. Il me voyait toujours en train de jouer avec mes copains devant la ferme, sur la place en face de l’église. Un jour, à la sacristie, il me dit « T’aimes bien le foot, toi ? ». Je réponds « Ouais ». Et lui, « Tu joues pas ? », « Non, ma grand-mère, elle veut pas ». Il me dit « Comment ça ? », et je dis « Non, elle dit que je vais me blesser, qu’il ne faut pas faire du football, c’est dangereux ». Il répond « Bon, attends, je m’en occupe ».
Et un mercredi, on finissait le catéchisme, je reprends mon ballon pour jouer avec mes copains mais il m’appelle en disant « Je vais voir ta grand-mère. Tu vas venir jouer avec nous ». Je me suis caché quand il est arrivé chez moi. « Bonjour Monsieur le curé. Asseyez-vous Monsieur le curé ». Il brasse, il brasse, et dit « Bon maintenant, j’ai quelque chose à vous demander », « Bien sûr, Monsieur le curé ». « Georges, il adore le foot. Vous savez que moi, je suis secrétaire du club. Il va venir jouer avec nous », « Vous croyez ? », « C’est pas que je crois, c’est que je suis sûr »… « Bon, pas de problème Monsieur le curé ». Je l’ai attrapé à son cou et je l’ai embrassé. J’avais 12 ans, et j’ai commencé comme ça.

Mélanie : Pour en revenir à la vocation, qu’est-ce qui vous a donné ensuite l’envie d'encadrer des jeunes plutôt que des adultes ?

Georges : Quand j’étais en Première, en pension, et que Lens, Lille, Valenciennes voulaient me recruter, mes parents ne savaient plus quoi faire. Il était hors de question que j’arrête l’école. Mon père ne disait trop rien, c’était plus ma mère pour la partie scolaire. J’ai dit « Maman, je vais tenter le foot », et elle m’a répondu : « Je te préviens, tu vas aller là-bas mais tu fais quelque chose à côté ». Donc, au début, j’ai fait le CAP Métiers du football. C’était nul, ça ne servait à rien. Et dès qu’il y a eu une première proposition pour passer les diplômes d'entraîneur, tout de suite, je me suis inscrit. J’avais 19 ans et j’arrivais chez les pros. À l’époque, c’était Gérard HOULLIER qui donnait les cours. J’allais au CREPS à Wattignies. J’ai eu mon diplôme et, après, c’est resté sur un coin de table.
J’ai fait Lens, puis Abbeville, deux ans. Après, je suis parti à Louhans-Cuiseaux. Il y a 5 000 habitants, et rien à faire là bas. Donc, je me suis réinscrit à des cours pour passer les diplômes d'entraîneur et, en même temps, comme je m’ennuyais, j’avais demandé à prendre en charge une équipe de foot à Louhans. Le mercredi après-midi, je passais souvent deux heures sur les terrains, et c’est là que j’ai appris. Le dimanche matin, j’allais les voir jouer.
Il y a eu des étapes, et tout se réunit à un moment donné. Quand j’ai arrêté de jouer à Louhans, dix jours après, Patrice BERGUES m’a appellé et m'a dit « Georges, je ne te connais pas mais je cherche un entraîneur pour l’année prochaine. On m’a parlé de toi ». Je suis monté. J’ai parlé quinze minutes avec lui, et il m’a dit « Tu vas venir entraîner avec moi ». Donc, me concernant, ça a été les diplômes et la rencontre avec un homme extraordinaire : Patrice.
J’ai commencé au Centre de formation avec les jeunes. Très vite, j’ai pris l’équipe réserve pendant que lui, prenait les pros. Et après, j’ai basculé chez les pros car des portes se sont ouvertes. Mais j’ai très mal vécu la manière dont cela s’est terminé, et je suis plus heureux aujourd’hui avec des jeunes qu’avec le monde professionnel.

Nathalie : Moi, un peu comme Georges, j’ai commencé à 18 ans. Monsieur André CHARLET a ouvert le DUST Métiers du sport, option Football. J’ai pris goût tout de suite à encadrer les jeunes. J'entrainais à Hénin-Beaumont et, après, dans les sections sportives aux alentours. J’ai fait les « petits » sur Gravelines et, ensuite, j’ai continué à m'entraîner tôt car il fallait que je travaille en plus du foot féminin.
J’aime la formation, voir la progression des jeunes. Là, chez les filles sur trois ans, on voit l’évolution qui est extraordinaire. Chez les petites et chez les garçons aussi. C’est vraiment ça qui m’anime, la progression des jeunes. Le monde senior, pour le moment, ça ne me branche pas trop. On est vraiment formateurs dans l’âme.

Dominique : Quand un jeune arrive au Pôle Espoirs de Liévin, est-ce qu’il y a un engagement avec des droits et des devoirs ?

Nathalie : Oui, il y a un règlement intérieur. Bien sûr, ils ont des droits. Ce sont des sportifs de haut niveau, et ils sont respectés en tant que tels. Mais il y a beaucoup de devoirs, c’est notre cheval de bataille. Il faut mettre un cadre à respecter. Ça se passe plus ou moins bien. Mais c’est notre rôle qu’ils sortent de la structure avec des valeurs. Chez les filles, notre rôle est aussi de les rendre beaucoup plus autonomes afin qu’à la sortie du pôle, elles puissent être autonomes dans leur vie personnelle. Georges va compléter mais, oui, elles ont des règles à respecter qui sont importantes. Après ça demande beaucoup plus de temps chez les garçons parce qu’ils sont plus jeunes.

Georges : Dans la continuité de ce que vient de dire Nathalie, je reçois, ce soir, tous les nouveaux entrants. Ils sont 19 avec leurs parents. Et derrière, il y a un engagement. On a de plus en plus de choses à régler. Ça me fait plaisir quand des gens viennent et qu’il disent « Ah, ici, ils disent bonjour ». Je trouve que la politesse, c’est la base de tout. Ensuite, il faut leur apprendre à avoir tout le temps un comportement exemplaire. Apprendre à donner le meilleur d’eux même. C’est un engagement.
Dans deux ans, une sortie va se faire avec des objectifs atteints et d’autres pas, pour plein de raisons. Le cadre est défini, et je ne vais pas y déroger. Alors c’est vrai que c’est dur, parfois. Cette année, j’ai dû me séparer d’un gamin. Mais, à partir du moment où il n’est plus dans le cadre, qu’il en sort de lui-même, c’est tout. On passe à autre chose.
Il arrive que la non réussite d’un gamin est due à un parent qui ne tient pas sa place. Je leur rappelle donc leur rôle, et de plus en plus, car on ne peut pas remplacer les parents. On prend en charge le suivi scolaire, le suivi médical, le suivi sportif et, comme dirait Nathalie, le suivi d’autonomie, etc. La nutrition devient importante, aujourd’hui. On a de plus en plus de problèmes de nutrition. Par exemple, de plus en plus de jeunes ne déjeunent pas le matin. Donc je leur explique qu’on a trois sortes de pain, des laitages, du fromage, des fruits frais etc. Ce n’est pas pour manger une tartine de Nutella. On met plein de choses en place, ce n’est pas pour grignoter un truc et partir.

Mélanie : Donc là, on parle d’encadrement au niveau des jeunes mais où commence et s’arrête votre travail en tant que directeur et directrice du Pôle Espoirs ?

Nathalie : On s’adapte aux besoins des uns et des autres, et de leurs familles. Alain DELORY gère la scolarité, avec le suivi scolaire, le suivi des notes, les conseils de classe. On gère presque tout de A à Z. Sur le plan médical, il y a le médecin, Jean Michel PROVILLE, et le kiné, Mathieu PARENT, qui sont là tous les jours. Avec Georges, de toutes façons, on est là du matin, 8h, au soir, 20h. On accompagne les jeunes toute la journée. Le soir, on est avec le staff médical. Dès qu’ils sont blessés, Victorien BOULON prend les rendez-vous médicaux. On les amène faire les échographies, les radios… On connaît tout de A à Z du jeune. Et après, il y a l'entraînement. Je dis « après » car on gère tout l’extra sportif. L'entraînement, c’est la petite goutte d’eau au milieu de tout ça. Donc après, s’il y a besoin d’un suivi particulier, selon les familles (familles recomposées, jeunes en difficulté sur le plan financier…), on essaie de les accompagner au mieux. Ça peut aller assez loin dans l’accompagnement mais il faut trouver la limite à ne pas dépasser.

Georges : Exactement. On ne peut pas avoir une fille ou un garçon prêt à s'entraîner et à donner le meilleur de lui-même si, à côté de lui, ça ne va pas. Ça nous prend du temps parfois mais il n’y a pas de secret. On passe énormément de temps à régler tout ça. Cela reste quand même des jeunes qui sont sensibles, fragiles.
Je vais finir là dessus : j’ai pris un attaquant, il y a deux ans. Un super gosse. Les parents divorcent. C’était un garçon avec plein de qualités. Aujourd’hui, il nous quitte. Il devait avoir des clubs etc. Et je ne comprends pas. Aujourd’hui, c’est un garçon éteint. Notre objectif pour les attaquants, c’est de les mettre dans des situations où ils doivent prendre des décisions. On les oriente pour qu’ils prennent les meilleures décisions possibles. Ça peut être une frappe, un centre… Et là, ce garçon n’entreprend plus rien, il est éteint. C’est dur à dire à des parents parce qu'on n'est pas là pour critiquer, mais je sors frustré de cette expérience. J’espère qu’il va repartir dans son cursus là-bas, et que ça va aller. Tout ça pour dire que c’est bien cette partie de l’iceberg qu’on ne voit pas.

Dominique : Justement, quelles sont les qualités que vous recherchez chez un jeune ? La tête, les jambes, le physique, la technique ?

Nathalie : Je pense qu’on a tout résumé juste avant : c’est la tête. Si déjà, on est bien dans sa tête, le reste suit. Chez les filles, ça ressort encore plus. Elles sont souvent en manque de confiance. Elles stressent plus que les garçons, je pense. Si elles ne sont pas bien dans la tête, ça va être compliqué. Donc la tête, c’est la priorité. Et l’état d’esprit aussi si on veut réussir à haut niveau. La dimension athlétique rentre de plus en plus en compte dans le foot féminin. Une fille qui va vite et qui a un bon volume de jeu, a des chances de réussir à haut niveau. Ensuite, il y a tout ce qui va avec. L’aspect technique ou tactique, ça vient en complément. Le management est différent. Je le vois avec Georges : on ne gère pas les garçons comme on gère les filles. Si, mentalement, elles vont bien, on peut avancer.

Dominique : Une question peut-être un peu maladroite mais, pour les filles, à l’âge de connaitre des petits copains, ça change aussi des garçons ?

Nathalie : Elles sont comme les garçons par rapport à ça [rires]. À 15, 16 ou 17 ans, elles connaissent « l’amour » entre guillemets. Chez les garçons, je ne sais pas mais, chez les filles ça peut avoir une grosse influence. Il y en a qui sont capables de mettre leur carrière de côté.

Dominique : C’est terrible.

Georges : Dans la continuité de ce qui vient d’être dit, à 13 ans, il y a la croissance qui intervient dans mes choix. Par exemple, j’ai un garçon que j'ai suivi très longtemps. Quand je l’ai pris, j’ai vite vu qu’il était en avance sur son âge. Il avait 13 ans, et il jouait avec les « 14 ans ». Je l’ai choisi car il était top au niveau de l’état d’esprit. Fin août, il se fait un croisé juste avant de rentrer ici, et là, je l’ai perdu : un douillet, toujours mal. Il s’est fait opéré au mois d’octobre. Avec le COVID et la rééducation, ça a été la catastrophe. Il n’a quasiment pas joué pendant un an. Et un an à ne pas jouer, c’est énorme. Je n’avais pas décelé en lui que c’était un enfant roi. Comme il avait aussi un an d’avance à l’école, il est parti au lycée. Et donc, il était avec les filles, et voilà…

Mélanie : Dominique parlait des qualités qu’il faut avoir pour être un bon joueur et une bonne joueuse. Est-ce que ça rejoint les valeurs véhiculées par le foot justement ? Et en parlant de ces valeurs, est-ce que vous voyez une évolution depuis votre passé de joueur et joueuse, sur le football en général ?

Nathalie : Sur le foot féminin, oui, je vois une évolution. À une époque, on était un peu montrées du doigt quand on jouait au foot. Maintenant, ça se développe bien. Les gens respectent un peu plus, même s’il reste encore des moqueries sur le foot féminin. Ça devient positif quand même, l’évolution, le niveau des joueuses… Donc ça, c’est bien. Après, il y a toujours un combat sur plein de sujets, comme le racisme, qui sont encore compliqués aujourd’hui.

Georges : Je suis plus choqué par ces choses là car – je le dis toujours – la rencontre des cultures, c’est la richesse du foot.
Concernant l’évolution de ce sport, moi, ce qui me gêne aujourd’hui, c’est qu’à 12, 13 ans, il y a déjà des agents.
Concernant les Centres de formation, j’ai été directeur de l'un d'eux pendant quinze ans et, quand un parent y mettait un enfant, ils savait à qui il avait à faire. Mais aujourd’hui, les directeurs de Centre changent très vite et très souvent. Si un responsable a un contrat de deux ou trois ans, il va faire tel recrutement, puis un autre arrivera dans deux ans, et va préférer d’autres profils… Les parents sont un peu perdus avec ça. Normalement, on n'a pas le droit d’avoir des agents avant 18 ans. Mais ils prennent ces personnes pour les « conseiller ». Ils les appellent comme ça d’ailleurs.
Ce n’est pas mon fonctionnement. Des enfants qui sont avec moi durant deux ans, je vais continuer à les aider sans rien demander. Car ma fierté, c’est de voir des gamins qui montent, des filles qui jouent au niveau national ou international. C’est notre objectif. Il m’arrive aussi, parfois, de revoir des jeunes que j’ai entraîné à Lens, qui sont devenus des chefs d’entreprises. Et ils me disent : « On n’a pas réussi au foot mais on a réussi dans la vie grâce aux valeurs qu’on nous a inculquées, des valeurs de combat et de courage ».

Dominique : Est-ce que vous avez des temps forts dans l’année, c'est-à-dire des rassemblements, des manifestations, des participations à de gros évènements, au-delà des entraînements, de tout ce qui se fait au quotidien ?

Georges : J’ai les premiers rassemblements concernant le recrutement car c’est très important de créer un groupe équilibré, où il va y avoir des défenseurs, des milieux, des attaquants, des garçons qui sont dans une école privée depuis cinq ans et qui ont 18 de moyenne, et d’autres qui sont dans des collèges de quartiers… C’est ça qui m’intéresse. Les parents sont là. On explique tout ce qu’on fait, et ils posent beaucoup de questions. L’important, c’est qu’à l’arrivée – et c’est ce qui se passe au bout de six mois – les parents se disent « Waouh ! Mon fils a changé. Il s’est ouvert à plein de choses. Il a compris qu’il avait beaucoup de chances que d’autres n’ont pas mais qu’il fallait se battre pour réussir ». Ce sont les valeurs qu’on leur inculque.
Je passe beaucoup de temps sur le recrutement puisque j’ai 260 gamins qui viennent pour, à la fin, n’en avoir que 38 pendant trois jours, et n’en conserver que 19. Et tout cela, c’est un brassage effectué avec toute mon équipe qu’il s’agisse du médical, de l’éducatif ou du sportif.
Après, il y a les matchs qu’on va disputer contre des clubs pros. Les jeunes s'entraînent mais ne jouent jamais ensemble les matchs officiels. Or, c’est dans les matchs que se créent les liens. C’est pour cela que l’on organise des rencontres contre les clubs pros et les autres Pôles Espoirs. À leur âge, il y a une façon d’apprendre à gagner sans faire n’importe quoi. Ce n’est pas pareil quand on est senior. Ce sont des choses que je leur inculque. Ça, c’est la deuxième partie.
La troisième partie – gros moment fort – c’est quand ils s’en vont au bout des deux années. Et là, c’est particulier pour nous car ce sont deux années que nous avons passées ensemble, deux années où l’on a tout pris en charge, de A à Z. Là, ils savent qu’il y a des cassures, et chacun le vit de façon différente. Parfois, ce sont les parents, très inquiets, qui viennent nous voir. Parfois, ce sont quatre jeunes qui sont dans les bras des uns, des autres, et qui pleurent pendant cinq minutes parce qu’ils vont se quitter. Ça fait partie des moments forts.

Mélanie : Concernant la première partie – cette sélection de 19 jeunes au Pôle Espoirs masculin – est-ce la même chose au niveau féminin ?

Nathalie : De mon côté, c’est Seconde, Première, Terminale. J’ai 8 filles par année d’âge, donc 24 filles au total, réparties entre la Seconde et la Terminale. C’est la même chose que pour Georges concernant la détection, la sélection et les matchs. Sauf que, moi, quand elles partent, elles ont les résultats du Bac le lendemain. J’en ai donc huit qui s’en vont, et à la rentrée, on en reprend huit. Tous les ans, c’est comme ça mais, en 2024, cela va changer : on passe en « pré-formation ».
On va donc se caler sur le parcours des garçons, avec des filles qui sont au collège, en 4ème et 3ème. J’en aurai 12 pour chaque classe d’âge, donc 24. Quant aux lycéennes, elles iront dans des Centres de formation féminins qui ouvrent à partir de la saison prochaine. Ça n’existait pas jusqu’à présent. Désormais, ce sont les clubs professionnels vont prendre en charge la formation. Le PSG, Lyon, Paris FC, Bordeaux, je crois, Fleury et Montpellier ouvriront un Centre de formation, l’année prochaine.

Mélanie : Un grand changement pour le football féminin ?

Nathalie : Oui, c’est une révolution dans le foot féminin ! Ils vont faire une première division professionnelle à partir de l’année prochaine. Cela promet une belle évolution dans les années à venir.

Dominique : Pour en revenir à la Journée Olympique du 10 juin, vous avez été partenaires de cette magnifique journée. Vous avez participé à son succès. Qu’en retenez-vous ? Vous pouvez peut-être nous faire un petit retour à ce sujet ? Avec les filles par exemple ?

Nathalie : C’était une grosse organisation et l’équipe du Pôle a réalisé un super travail. C’était top mais il n’y avait pas tant de filles que ça. Certaines jouaient déjà au football, notamment des filles de Calais, je crois. Elles étaient super contentes d’être présentes. Elles faisaient des petits reportages aussi, des interviews, et c’était sympa. On a vu deux, trois bonnes joueuses. Et après, je pense que les autres ont aussi adhéré car ce sont des jeux de découverte qui avaient été mis en place, avec des éducateurs de haut niveau. Donc, forcément, elles y ont pris du plaisir. C’était une belle journée. Les gamins étaient contents. C’était également une journée intense car il y avait du monde… mais avant tout une belle journée. Je pense que les jeunes ont apprécié. Certains ne voulaient plus quitter le terrain !

Dominique : Et les petits mecs, qu’est-ce qu’ils en ont pensé ?

Georges : Mon puzzle s’est mis en place, la veille. Ça tombait au moment du recrutement des miens. Je me suis dit que j'étais fou d’organiser tout ça. Mais je savais que l’équipe allait être présente et que ça allait donc très bien se passer. La Ligue avait préparé toutes les structures gonflables. C’était top. Le matin, on était tous là à 7h15 et, après, les gosses ne voulaient pas partir. Je vais parler des filles car, à un moment donné, j’ai pris un groupe de débutantes qui n’avaient jamais joué au foot. Je dis souvent dans les formations qu’au plus on est diplômé – en tant qu’entraineur – au plus on a des joueurs confirmés. C’est ça le paradoxe. C’est pourquoi, à La Gaillette, j’avais mis les entraîneurs d’expérience chez les tout petits parce qu’il faut leur apprendre à jouer. Et donc, ces filles ont commencé à jouer à cinq contre cinq. Au début, c’était un peu compliqué mais, avec un peu d’adaptabilité, elles se sont vite prises au jeu.

Mélanie : C’est vrai que l’on a eu de très bons retours de la part de petites filles qui n’avaient jamais joué au foot. C’était cool. Quelles étaient exactement les activités mises en place ?

Georges : C’était divisé en trois parties. Une première avec les structures gonflables : un tir sur une grosse cible, une autre structure gonflable où ils faisaient du cinq contre cinq. Ensuite, des bâches avec des trous pour cibler le tir. Puis du Golf Foot.
Sur la deuxième partie de terrain, se disputaient six matchs en cinq contre cinq, sous forme d’échiquier : quand on gagne, on monte, et quand on perd, on descend.
Et derrière, on avait mis en place des petits ateliers « découverte » et des jeux.

Dominique : Si des enfants souhaitent intégrer le Pôle Espoirs de Liévin, comment cela se passe ?

Nathalie : Chez les filles, il y a des détections de district. Elles sont réunies dans leur district. Celles qui sont prises, participent aux détections de ligue. Une fois qu'elles ont fait les détections de ligue, il faut faire partie des seize meilleures de la ligue pour faire les interligues. Et suite aux interligues, on les convoque sur le concours d’entrée du Pôle, et on en prend huit. Il y a donc très peu de places. Ce sont vraiment les meilleures du nord de la France. Mais à partir de l’année prochaine, concernant les collégiennes, la détection ne s’effectuera que sur les Hauts-de-France, et on en prendra douze. Ce sera donc un peu plus ouvert pour les petites.

Dominique : Et pour les garçons, alors ?

Georges : Pour les garçons, ça commence par des détections dans leurs clubs. Plutôt des clubs amateurs que des clubs pros. Tous les samedis après-midi, je vais voir des matchs.

Mélanie : C’est toi, directement, qui va voir les matchs pour les détections ?

Georges : Oui, plus tout le réseau que j’ai. À mes yeux, c’est le plus important : trouver le joueur qui va te taper dans l'œil, qui est passionné… Mais il faut les voir plusieurs fois, à domicile, à l’extérieur. C’est mon travail et, après, ils viennent ici. Cela en fait environ 280. Ensuite, je passe à 60 puis 38 pour, au final, n’en garder que 19. On est sur deux générations : 4ème et 3ème. Comme je le dis toujours, tout le monde a sa chance. À qualité égale, et même à qualité moindre, je préfère prendre un garçon qui est dans un petit club, qui ne s'entraîne qu’une fois par semaine plutôt qu’un jeune déjà présent chez les pros, et qui s'entraîne trois à quatre fois car, chez le premier, on se rend compte que la marge de progression est importante.
Je pense par exemple à Ayyoub BOUADDI. C’est un garçon qui jouait à 13 ans dans un petit club. Il est venu ici. Lille l’a fait signer. Il y a des vidéos entre le moment où il est arrivé et celui où il est parti. On voit l’évolution sur deux ans. C’est quelque chose que je vais montrer aux parents. C’est un garçon brillant à l’école. Il vient ici, travaille, progresse. Jamais rien à lui dire, 18 de moyenne avec un an d’avance. Et, aujourd’hui, il est à Lille, il est international.

Mélanie : Bel exemple ! Est-ce qu’il y a d’autres jeunes, que ce soit en féminin ou en masculin, qui ont évolué à haut niveau, et sont passés par ici ?

Georges : Il y en a pas mal. Les plus connus sont dans le hall comme Varane, Pavard, Lenglet ou encore Chevalier, le jeune gardien qui est à Lille. Et d’autres vont arriver.

Benjamin PAVARD, Clément LENGLET, Raphaël VARANE et Lucas CHEVALIER, anciens pensionnaires du Pôle Espoirs de Liévin

Nathalie : Chez les filles, elles sont moins connues. C’est différent. Il y en a trois qui étaient en équipe de France A. Après il y en a beaucoup dans les sélections des équipes de France jeunes. Là, on en a eu trois qui sont championnes d’Europe avec les U17. Et il y en a pas mal aussi qui ont été championnes avec les U19, il y a cinq, six ans. Beaucoup évoluent en D1 féminine. Il y a la petite dernière : Airine FONTAINE qui est sortie du Pôle, l’année dernière, et qui faisait partie des meilleures espoirs en D1 féminine lors des récompenses UNFP diffusées sur Canal +.

Le Pôle Espoirs fleurit également en Équipes de France féminines

Georges : Tu vois, quand on parle de qualités mentales… Cette fille là, elle vient de nulle part. Elle avait un objectif, un courage phénoménal. C’est une travailleuse, et voilà !

Mélanie : Et aujourd’hui, ça a porté ses fruits.

Nathalie : Oui, et elle va réussir.

Dominique : On arrive au bout de cet entretien. J’aimerais que, chacun à votre tour, vous adressiez un mot à tous ces enfants que vous avez vu le 10 juin…

Nathalie : Je pense que faire une activité sportive, me parait primordial pour être bien sur les plans athlétique et mental, mais aussi pour se faire des amis, des relations, atteindre des objectifs. Derrière, on peut faire du haut niveau mais on peut aussi faire du sport pour être avec des amis, partager des bons moments, simplement. Je pense que le sport est vecteur de beaucoup de bonnes choses, que ce soit sur le plan humain ou personnel. Qu’ils vivent à fond leurs rêves, et prennent plaisir dans la vie et dans ce qu’ils font. Et comme on l’a dit tout au long de l’entretien : sans travail, on n’obtient rien. Il faut travailler dur pour atteindre ses objectifs, que ce soit dans la vie personnelle ou dans la vie sportive.

Georges : Quand on est petit, on a des rêves. Donc, comme disait Nathalie, il faut y croire. Si on ne croit pas en ses rêves en étant jeune, c’est dommage. Et le deuxième message que je veux passer, c’est qu’au-delà des rêves, ce n’est pas en passant son temps à la maison, sur le téléphone, la Playsation, etc., qu’on apprend à jouer au foot. Il n’y a pas de secret : c’est en étant dehors avec son ballon, qu’on soit fille ou garçon, avec ses copains ou copines. Et, à un moment donné, il y aura une opportunité qui va arriver. Et il faudra la saisir. Un rêve, c’est ça. Il faut y croire, et tout est ouvert à tout le monde. Je répète, pour les filles comme pour les garçons, on ne choisit pas que ceux qui sont dans les grands clubs. On regarde partout pour donner la chance à un maximum de jeunes.

Dominique et Mélanie : Un grand Merci !

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